L’économiste Fritz Alphonse Jean, ancien gouverneur de la Banque de la République d’Haïti, ancien Premier ministre et aujourd’hui membre du Conseil Présidentiel de Transition (CPT), a livré une analyse sévère de la gouvernance en Haïti au micro de Rudy Sanon, ce mercredi 3 décembre 2025.
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| Le Conseillé Fritz Alphonce Jean à l’émission Kisa nou vle avec Rudy Sanon, ce mercredi 3 décembre 2025. |
Dans un contexte où la sécurité nationale domine l’actualité et les inquiétudes de la population, Fritz A. Jean replace la réflexion sur un terrain beaucoup plus profond : celui de la gouvernance, de la transparence budgétaire et de l’efficacité institutionnelle.
Son intervention ne se limite pas au débat sur les mercenaires ou sur la lutte contre les gangs ; elle constitue une lecture économique et politique de la crise totale que traverse l’État haïtien.
Interrogé par le journaliste Rudy Sanon, il souligne que la question centrale n’est pas seulement la capacité de l’État à se défendre, mais surtout sa capacité à gérer ses ressources, à expliquer ses décisions et à rendre des comptes.
Le développement qui suit reprend les principaux points qu’il a soulevés, notamment l’insuffisance criante des forces de sécurité, les zones d’ombre dans le budget rectificatif en particulier l’augmentation spectaculaire du service de la dette et l’échec des institutions à utiliser efficacement les ressources qui leur sont allouées.
Fritz Jean commence par dresser un tableau alarmant de l’état des forces de sécurité. Haïti dispose d’environ 11 000 policiers pour une population de plus de 11,5 millions d’habitants.
À titre de comparaison, la République Dominicaine, pays voisin au poids démographique comparable, compte 32 000 policiers, 60 000 militaires et 35 000 agents du renseignement.
Pour lui, la Police Nationale d’Haïti est « carrément dépassée par la situation » et incapable, dans son état actuel, de lutter efficacement contre la criminalité transnationale.
Il rappelle que l’État haïtien a déjà eu recours à des firmes étrangères pour la formation stratégique des forces de l’ordre, preuve d’une faiblesse institutionnelle installée depuis longtemps.
Mais au-delà de la sécurité, c’est surtout l’opacité budgétaire qui préoccupe l’économiste. Il révèle que le gouvernement a soumis un budget rectificatif affichant un déficit de 9,7 milliards de gourdes, soit près de 75 millions de dollars.
Plus choquant encore : le service de la dette est passé de 471 millions à 5 milliards de gourdes en une année, sans qu’aucune explication ne soit fournie ni au public, ni même au Conseil des ministres.
Il déplore que les décisions financières les plus importantes du pays continuent de se prendre en dehors de toute logique de transparence.
Selon lui :
« Aucune réponse, pas de justification sur ça là. »
Enfin, Fritz Jean met en avant un autre problème structurel : l’incapacité à utiliser les ressources de manière cohérente et efficace. Il affirme que le pays ne souffre pas seulement d’un manque de moyens, mais d’un manque d’exécution.
« Il faut que [les] ressources se dépensent, il faut que [les] ressources aillent à l’effet que nous cherchons. C’est justement ce problème que nous avons. »
Il critique aussi le caractère arbitraire des ajustements de tarifs douaniers, opérés sans explication, que ce soit pour protéger certains secteurs ou en ouvrir d’autres. Cette absence de justification renforce la méfiance du public et aggrave l’instabilité économique.
À travers son intervention au micro de Rudy Sanon, Fritz Jean met en évidence une crise profonde, multiforme, qui dépasse largement les questions sécuritaires.
Haïti fait face à une gouvernance défaillante où la transparence budgétaire, la gestion cohérente des ressources et la reddition de comptes font défaut.
L’augmentation inexpliquée du service de la dette, le déficit massif du budget rectificatif et l’incapacité des institutions à exécuter leurs propres plans d’action sont autant de signes d’un État fragilisé dans ses fondements.
Pour l’économiste et membre du CPT, le redressement passe par une gouvernance rigoureuse, une transparence absolue dans la gestion publique et une volonté politique réelle de répondre aux attentes du peuple haïtien. Sans cela, la spirale actuelle de crise sécuritaire et institutionnelle ne pourra pas être inversée.

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